Mozart - Messe du couronnement (kv317)
Wolfgang Amadeus Mozart
Salzbourg, 23 mars 1779
Pour 4 voix avec accompagnement de deux violons, deux cors, deux trompettes, deux timbales et basses (violoncelle, contrebasse, bassons et orgue)
Contexte historique et musical :
On considère qu’il existe 16 messes de Mozart. Ses premières messes sont le fruit de ses fonctions à la cour de Salzbourg (où il était « Konzertmeister » et organiste à partir 1779). Ses œuvres de jeunesse sont des messes dans le style de la missa brevis, sans prétention musicale.
La première messe complète connue de Mozart est la messe en ut mineur K139 qu’il dirigea devant la cour impériale à Vienne le 7 décembre 1768 lors de la consécration de la nouvelle église de l’orphelinat (« Waigenhauskirsche »).
De décembre 1769 à mars 1773 : Mozart effectue 3 voyages en Italie qui lui permirent d’observer les usages italiens en matière de liturgie.
En 1771, son employeur, Siegmund comte von Schrattenbach, meurt. Cela amorce une nouvelle conception de la musique religieuse à Salzbourg qui affecte Mozart. Apparaissent alors des influences des idées des Lumières sur la musique d’Eglise, une conception rationnelle et fonctionnelle qui met l’accent sur la concision et sur l’intelligibilité des textes.
Extrait d’une lettre du 4 septembre 1776 au père Martini : « une messe, avec tout le Kyrie, le Credo, la sonata all’epistale, l’offertoire ou le motet, le Sanctus et l’Agnus Dei ne doit pas durer plus de trois quarts d’heure ».
Donc la plupart des messes de la période salzbourgeoise (1773-1777, entrecoupée de séjours à Vienne et Munich) sont concises et accordent une large place à la déclamation chorale avec peu de répétition du texte et sans fugue finale (ex : KV 140, KV 167, KV 192, KV 194).
1779-1781 : dernières années salzbourgeoises. Le mécontentement qu’inspirait à Mozart la vie salzbourgeoise était profond et durable. L’archevêque exigeait en effet une musique d’église plus élaborée et l’introduction d’hymnes allemands. Les deux dernières messes salzbourgeoises de Mozart (K 317 et K 337) toutes les deux en ut majeur, montrent qu’il aurait trouvé inacceptables de telles restrictions imposées à sa liberté artistique.
L’œuvre :
Cette messe n’a pas été écrite, comme on l’a souvent dit, pour le couronnement solennel d’une statue de la Vierge Marie, mais parce que Salieri la dirigea lors du couronnement de Léopold II en 1791 à Prague où la cour la qualifia de « Krönungmesse » (messe du couronnement).
Elle respecte, pour l’essentiel, les conventions de la missa brevis, mais avec des retours de certains éléments thématiques, et plus de liberté que d’habitude. L’Agnus Dei (solo de soprano) orné en style d’aria est très connu aujourd’hui.
On sait que le 1er aout 1777, Mozart avait adressé une lettre de démission au prince-archevêque Colloredo, avant d’entreprendre le mois suivant un voyage qui, en passant par l’Allemagne, le conduirait à Paris. De retour à Salzbourg au tout début de 1779 et peut être inquiet des conséquences de sa décision, Mozart avait préféré revenir provisoirement au service de son employeur, que pourtant il détestait. En plus de la mésentente entre Colloredo et Mozart, ce dernier n’appréciait pas l’atmosphère de cette ville et le fait que Salzbourg ne pouvait lui offrir aucune occasion de se consacrer à un genre qu’il affectionnait particulièrement : l’opéra. Cependant, Mozart n’ignora pas la voix durant ces années et on peut penser qu’il compensa le manque de réalisations lyriques en composant de nombreux ouvrages sacrés.
En 1781, Mozart part travailler à Vienne où il n’était pas tenu par ses fonctions d’écrire de la musique d’Eglise. Il n’est donc pas surprenant que Mozart n’ait écrit que deux autres messes au cours des dix dernières années de sa vie : la messe en ut mineur (K 427) et le Requiem (K 626).
Cette messe du couronnement semble être pour Mozart l’occasion de composer une grand-messe solennelle qui va marquer le début d’une nouvelle musique religieuse. En effet, cette œuvre donne l’impression que l’horizon du compositeur s’est élargi : ses voyages l’ont manifestement enrichi. Il a voulu, à travers cette œuvre, sans modifier les cadres habituels, montrer à ses contemporains les conquêtes réalisées au cours du voyage à Mannheim notamment, et comment il compte les utiliser.
- Le Kyrie : Sans aucun prélude, le Kyrie débute aussitôt par le triple appel des voix auquel répond l’accompagnement des violons, ce n’est qu’une introduction et dès la troisième page de ce Kyrie nous avons la surprise de retrouver ce thème d’introduction. Ce Kyrie est composé de deux parties : l’une, solennelle, qui constitue l’introduction, et la seconde composée d’une ligne mélodique chantée par la soprano à qui répondent en imitation les hautbois, et accompagnée légèrement par les violons. Le thème est repris en mineur au Christe eleison. Le retour de cette introduction achève de donner au Kyrie un sens tout à fait original.
- Le Gloria (allegro con spirito) : construit à la façon d’un morceau de sonate ou de symphonie, avec des effets dramatiques interrompant le discours. Le mot « Pax » notamment est répété sous un accompagnement de cordes, et tout de suite après, les vents seuls préparent les mots « Bonae voluntatis ». Un développement s’en suit jusqu’à « Quoniam tu solus sanctus » jusqu’à la troisième répétition trois fois du mot « Amen » à partir d’où les voix s’imitent tandis que continue l’accompagnement instrumental de la première partie. Le morceau s’achève sur une forte simplicité. On peut remarquer pour ce morceau avec quelle facilité les paroles liturgiques s’adaptent au discours instrumental purement symphonique.
- Le Credo (allegro molto) : lui aussi d’une structure instrumentale symphonique, c’est un roulement continu de violons s’étendant à tout le morceau, scandé par les appels des cors, des trompettes et des hautbois. A l’inverse du Gloria, les voix ne débutent qu’à la cinquième mesure, pour laisser la primauté à l’accompagnement. Les voix chantent ensemble jusqu’aux mots « Descendit de coelis » où s’amorce une courte fugue. Puis tout s’arrête soudainement pour donner lieu à un adagio où l’accompagnement des violons plonge le tout dans un univers profond et poétique. Il s’agit de l’Incarnatus, Mozart a toujours accordé une grande importance aux mots qui expriment la naissance de Dieu ou la crucifixion. Puis les voix se remettent à chanter ensemble, cet épisode central ne donne lieu à aucun solo. Un « Amen » reproduira la fugue sur les mots « Descendit de coelis ». le morceau s’achève de manière homophone sur les mots « Amen » sans la partie de violon s’arrête.
- Le Sanctus (andante maestoso) : le même ton grandiose persiste, ce Sanctus donne l’impression d’un grand chœur solennel soutenu par les unissons des violons et des basses.
- Benedictus : thème léger exposé par le premier violon et accompagné du second. Ce Sanctus a le caractère d’un rondo instrumental et il est possible que Mozart se soit rappelé de son voyage en France lors de la composition de ce morceau, dont la légèreté fait penser à un final de sonate.
- L’Agnus Dei : solo accompagné en sourdine par les violons, dans un ton différent de celui de la messe ce qui est une innovation. On a d’ailleurs souvent fait remarquer que cet Agnus Dei offrait déjà un thème qui sera repris dans Les Noces de Figaro (mai 1786) pour l’air de « Dove sonoi bei momenti ». Au second couplet (« miserere, miserere nobis ») apparait une modulation qui aboutit à un point d’orgue au « Dona nobis pacem » qui n’est autre que la reprise du thème original et mélodique du Kyrie, pour en faire la conclusion de cette Messe du couronnement.
Cette messe marque pour Mozart un changement novateur à plus d’un titre : pour ce qui est de l’écriture vocale, il y a une plus grande homophonie. Il n’y a plus, comme dans la plupart des messes précédentes, l’obligation de recourir à une véritable fugue ainsi qu’il s’y croyait tenu pour terminer le Gloria et le Credo. Il a eu recours ici a des imitations qui surviennent tout à coup, au milieu du discours ou à la fin. Malgré leur extrême vocalité, les thèmes qui constituent ces conclusions paraissent souvent d’une inspiration instrumentale. On retrouve d’ailleurs dans la messe en ut de mars 1780 (donc un an après), toutes ces particularités qui montrent bien que l’orientation nouvelle donnée à sa musique religieuse se maintient dans son esprit et donc dans sa manière d’aborder ses compositions.